Alors que le souper commence à la Mina’s Fish House, restaurant situé à Oahu, Jared Chang, 20 ans, le premier « sommelier » de poisson d’Hawaï, explique que son emploi ressemble beaucoup à celui d’un sommelier.
Sauf qu’au lieu d’avoir une carte des vins, il se présente à la table avec une assiette en porcelaine débordant d’énormes kampachis et d'ukus entiers, crus, brillants et au regard vide, posés sur un lit de glace concassée, de persil et de garnitures de citrons noircis.
« Trouver un poisson qui plaira à un invité ressemble à un accord mets et vin », souligne Jared à propos de son rôle qui consiste à bavarder avec les clients à propos de leurs préférences en matière de fruits de mer et à faire des suggestions en fonction de la texture, de la préparation et, surtout, du goût.
« Selon le poisson, les gens ressentent en bouche une expérience différente », ajoute-t-il, expliquant que les poissons ont des saveurs pouvant aller de délicates et sucrées jusqu’à riches, prononcées et rappelant la viande. Le kampachi, par exemple, est ferme et riche en huile, avec un goût de noix, tandis que l'uku a une chair douce et floconneuse, procurant une sensation associée au beurre.
En se fondant sur ses conseils, la table opte pour le kampachi.
Quelques minutes plus tard, le poisson revient, mis en filets, braisé et croustillant, garni d’une marinade aux haricots noirs fermentés, au gingembre et aux oignons verts. C’est Jared lui-même qui, radieux, découpe le poisson et le dépose dans les assiettes. Le poisson possède une saveur riche, conserve sa texture sur le bout de la fourchette, puis fond en un délice relevé d’ail.
Sans les conseils préalables de Jared, beaucoup d’invités à Oahu auraient commandé un plat hawaïen classique comme du mahi-mahi grillé ou un poke au thon ahi.
Jared souhaite que les gens prennent conscience qu’il existe de nombreux autres poissons dans la mer.
« Je veux faire connaître la riche culture de la pêche, la conservation du poisson et l’esprit aloha authentique qui règne à Hawaï, poursuit-il. Le cœur et l’âme d’un restaurant de poisson devraient aller au-delà du goût d’un repas, car l’art de la pêche, c’est bien plus que cela. »
Originaire d’Ewa Beach, à Oahu, Jared a passé la majeure partie de sa vie à apprendre des techniques de pêche de son oncle, un menuisier qui sort son coffre à pêche toutes les fins de semaine. Jared travaille sur des bateaux de pêche pour parfaire ses aptitudes de matelot. Il nourrit aussi une passion pour la pêche côtière à partir de la plage qui, selon lui, est plus compliquée que la pêche en haute mer ou au large, car elle exige une connaissance approfondie des espèces côtières, des techniques de pêche à la longue ligne et des conditions des marées.
« D’aussi loin que je me souvienne, pêcher a toujours été une très grande passion pour moi, déclare-t-il. J’aime la façon dont cette activité rassemble amis et famille. »
Au printemps 2018, lorsque le restaurant Mina’s Fish House a ouvert ses portes au Four Seasons Resort Oahu, en bordure de l’océan, Jared a commencé son premier emploi dans un restaurant : aide-serveur. Mais peu de temps après, Michael Mina, un chef ayant reçu un prix James Beard, a reconnu le potentiel de Jared et a eu un trait de génie.
« Jared n’avait jamais travaillé dans un restaurant auparavant, explique-t-il. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, nous avons parlé de sa passion pour la pêche et j’ai été vraiment intrigué par toutes ses connaissances. Je voulais que nos invités vivent cette même expérience. »
M. Mina, qui imaginait un restaurant de poisson haut de gamme avec une ambiance décontractée où l’on peut mettre ses pieds dans le sable, a nommé Jared sommelier de poisson, le premier emploi du genre. Ainsi, il souhaitait amener les invités à sortir de leur zone de confort centrée sur le mahi-mahi grâce à des conversations éclairées et à une sensibilisation à l’égard du poisson, du début jusqu’à la fin.
Jared a accepté ce rôle et, malgré le fait qu’il ne pouvait pas suivre les traces d’un autre sommelier de poisson, il a entrepris d’établir des relations pour s’approvisionner auprès des pêcheurs locaux d’Oahu, habituellement par l’entremise d’amis et de membres de la famille. Essentiellement, noté M. Mina, Jared est une personne amicale, passionnée et amoureuse des poissons.
Aujourd’hui, il en résulte une expérience de repas « de la canne à pêche à la table », en plein air et en bordure de l’océan, qui est à la fois rustique et raffinée, avec des tables sur le sable, des guirlandes de lumières et des Mai Tai servis dans des conserves de Spam recyclées.
Dans son travail, Jared raconte aussi des anecdotes intéressantes aux invités pour faire un lien entre leur repas et la culture hawaïenne, comme sur l’onaga, traditionnellement servi lors d’occasions spéciales, ou le moi, qui est un poisson de récif autrefois réservé à l’ancienne royauté de l’île.
À Hawaï, explique-t-il à des invités en train de terminer leur kampachi, la pêche est un art ancien qui lie les gens à leur environnement et entre eux. Naviguer sur les côtes, dans les courants et les marées à la recherche de la prise du jour, et savoir où, quand et comment les rassembler repose sur le fait de vivre en équilibre avec la mer, ou ʻkai.
C’est une tradition qui comprend aussi la préparation et le partage du butin avec la collectivité et, ce faisant, qui nourrit non seulement la panse, mais aussi l’âme.